L’art d’être petit-fils, l’exposition consacrée à Georges Hugo

Georges Hugo (1868-1925), petit-fils du poète, immortalisé enfant par le recueil de poèmes L’Art d’être grand-père, fut le premier peintre, d’une lignée familiale qui se poursuit aujourd’hui. Dilettante de grand talent, il fut une sorte de chroniqueur proustien de son époque. Cette première grande rétrospective lui rend hommage 100 ans après sa mort et invite à découvrir son parcours en s’appuyant sur près de 300 pièces : dessins, peintures, manuscrits, carnets, gravures, photographies provenant du fonds du musée, de collections privées et particulièrement d’archives familiales inédites. Cette exposition s’inscrit dans une double logique de programmation : présenter une série de monographies de peintres liés d’une façon ou d’une autre à Victor Hugo, et illustrer la mémoire artistique familiale.

 

Georges Hugo est un personnage empreint de paradoxes. Mondain, il fait preuve d’empathie pour les pauvres. Fils de famille, il effectue son service militaire comme simple matelot. Esthète raffiné et ardent patriote, bien que quinquagénaire, il s’engage en 1914 et part au front comme agent de liaison. Amoureux passionné, il est instable dans ses relations. De santé fragile, Georges Hugo est à la fois timide, flamboyant, flambeur, sensible, discret, joueur, mélancolique, charmant et séducteur… Les seuls points d’ancrage dans sa vie ont sans doute été la fidélité à la mémoire de son grand-père et son amour de l’art.

Petit-fils unique de Victor Hugo qu’il appelait « Papapa », Georges commence à dessiner et les échanges de dessins font partie de leur complicité. Cet artiste fait partie des peintres sans atelier, posant leur chevalet dans un salon ou sur le pont d’un navire. On ne sait pas toujours où, ni surtout quand il a peint. Son langage de prédilection est le dessin. Un carnet à la main, il consignait sa vie et son monde d’un trait rapide en usant de son esprit vif et de son œil acéré. Il dépeignait les scènes de cafés où il passait l’essentiel de son temps, les scènes de spectacles qu’il aimait fréquenter, celles du front dont il voulait témoigner, les représentations d’homme et de femme dont il traquait la cocasserie ou l’élégance, ou portraiturait ses proches. Avec une sorte de mémoire proustienne, il fait montre d’une technique savoureuse et mordante. Il y mêle crayon, encre et aquarelle non sans se souvenir, discrètement, du talent de dessinateur de son grand-père. Georges Hugo a sans doute donné ses lettres de noblesse au dilettantisme, lui qui semblait surtout peindre et dessiner pour lui jusqu’à ce que l’effritement de sa fortune ne le pousse à exposer et à vendre. C’est la première exposition monographique consacrée à son œuvre. La Maison de Victor Hugo créée par Paul Meurice à l’occasion du centenaire de Victor Hugo en 1902 n’aurait pu voir le jour sans le soutien de la famille Hugo et particulièrement celui de Georges Hugo, qui fit des donations successives afin de constituer le fonds initial du musée d’environ 600 œuvres. Le parcours de l’exposition, composé de cinq parties, propose une vision complète de son travail.

 

L’art d’être petit-fils

Cette première partie rappelle l’importance du lien avec son grand-père et la façon dont son souvenir s’est cristallisé autour de Guernesey et de Hauteville House. «Petit Georges» est, avec sa sœur, Jeanne, immortalisé à l’âge de onze ans par L’Art d’être grand-père. Il vit une enfance merveilleuse et hors norme dans l’affection de son grand-père, bien que marquée par les deuils, celui de son père et de son oncle. La mort de Victor Hugo, en 1885, dont il conduit le cortège de l’Arc de Triomphe au Panthéon, met un point final à cette enfance. Restant le jeune homme le plus célèbre de France, Georges se destine aux lettres et à la peinture. Mais comment être peintre quand on est « Petiphysse », comme il se nommait ? Toute sa vie semble déchirée entre sa vénération pour son grand-père dont il défend la mémoire, sans faille, et cette vocation par laquelle il craint de ternir cette mémoire. La vie mondaine, dispendieuse, débridée, semble être une échappatoire à ce dilemme. Sa carrière de peintre avortée, de 1894 à 1897, ne renaît qu’en 1917. Ce n’est, sans doute, qu’à partir de la Grande Guerre et jusqu’à sa mort, en 1925, qu’il trouve grâce à la peinture la paix avec lui-même. Commencée dans l’exubérance poétique de son aïeul, la vie de Georges est romanesque, faite d’excès et de contrastes : jeune homme riche et célèbre, bagarreur, séducteur, simple matelot, homme du monde, collectionneur esthète, poilu de 14-18, joueur, flambeur… « Je ne suis pas un exemple à suivre », disait- il à son fils Jean. Mais il reste un artiste délicat autant que l’un des meilleurs peintres de guerre, et un dessinateur vif, acerbe et plein d’esprit qui sut faire pleinement sien le trait de son grand-père.

Alfred Capelle, Victor Hugo avec son petits-fils Georges, hiver 1885 © Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées

 

Mon grand-père

Guernesey reste le véritable sanctuaire de cette mémoire. C’est sans doute à Hauteville House, la maison d’exil de Victor Hugo, qu’il ressent une grande proximité avec son grand-père. « Je pense tout le temps à Guernesey qui est un idéal; je me demande souvent si je ne serai jamais aussi heureux que quand j’étais enfant. Je crains bien que non», écrit Georges à sa mère. Les séjours qu’il a faits enfant auprès de son grand-père à Guernesey, en 1870, 1872 et 1878, le marquent profondément. La magie des décors de Hauteville House qui servent de toile de fond à ces moments de grande proximité imprègne sa mémoire. Il aimera, tout au long de sa vie, revenir sur l’île qui cristallise le souvenir de « Papapa », tel qu’il avait baptisé Victor Hugo. C’est là sans doute que sa vocation artistique s’éveille : il voit son grand-père dessiner ; plus tard, c’est là qu’il reçoit ses premières leçons de peinture d’Ernest Duez. Il se plait à peindre la maison, mais aussi à crayonner l’île et ses habitants, qu’il observe à la bibliothèque, à la Cour royale ou au pub. En 1902, alors qu’il obtient l’autorisation de prendre le nom de Georges Victor-Hugo, il publie un livre de mémoires, Mon grand-père. Il défend avec acharnement la figure de Victor Hugo dans plusieurs polémiques. Mais ses dessins forment également un véritable album de souvenirs et Guernesey reste le véritable sanctuaire de sa mémoire. En 1914, lors de l’inauguration de la sculpture de Victor Hugo à Saint-Pierre- Port, il fait le vœu que Hauteville House devienne un musée pour en assurer la pérennité.

Georges Hugo (1868-1925). « Victor Hugo à Guernesey ». Huile sur toile. Paris, Maison de Victor Hugo.

 

Des « Mémoires d’un matelot » aux années Pauline

Dès son adolescence, Georges dessine et peint. Sa vocation est arrêtée mais son service militaire dans la marine, de 1891 à 1893, semble être une expérience décisive, sur le plan humain, littéraire et artistique. Simple matelot, il vit au milieu de ses camarades pauvres et souvent analphabètes à qui il apprend à lire. Il transcrit cette expérience sociale et humaine dans un livre qu’il publie en 1896, Mémoires d’un matelot. Les portraits qu’il y fait de ses compagnons, où se lit toute son empathie, trouvent leur équivalent dans ceux qu’il dessine. Rendu à la vie civile, sa première participation au salon de la Société nationale des beaux-arts, en 1894, avec Vieux navires et La Dévastation, a trait à cette période militaire. Parallèlement, Georges crayonne des portraits souvent sarcastiques de son entourage – hommes politiques et écrivains. En 1894, il épouse une amie d’enfance, Pauline Ménard-Dorian. Le couple mène une vie mondaine. Georges décore luxueusement leur appartement; à l’exemple de son ami Edmond de Goncourt, il collectionne l’art du XVIIIe siècle et l’art japonais. Son œuvre se recentre sur l’intimité : portraits de sa femme, de son fils Jean, né en 1894, tandis que sa fille Marguerite naît en 1896. Il se consacre aussi à la gravure, expérimentant techniques et tirages. Ce sont les dernières œuvres qu’il expose au Salon. En 1898, sa vie bifurque : il quitte Pauline pour vivre avec la cousine de celle-ci, Dora Dorian.

Georges Hugo, La Rade de Saint-Malo vue depuis Dinard, Huile sur toile, collection particulière, courtesy Brame et Lorenceau

 

« Sur le front de Champagne »

Âgé de quarante-six ans à la déclaration de la guerre, en 1914, Georges doit faire des pieds et des mains pour s’engager et se battre sur le front. Envoyé en Champagne, en 1915, il participe comme agent de liaison aux combats de la ferme Navarin. Cité à l’ordre de l’armée, il reçoit la croix de guerre. En avril 1916, il est démobilisé à la suite d’une crise de rhumatismes, dont il souffre depuis l’enfance. Au front, il n’a cessé de crayonner, conservant la mémoire de tout ce dont il est le témoin. Ses dessins montrent autant d’objectivité que de sensibilité, ses titres attestent de son patriotisme, ses portraits retrouvent dans la fraternité des armes l’empathie qu’il avait ressentie matelot. Cet équilibre, la nervosité de son trait, sa maîtrise de l’aquarelle en font l’un des plus beaux témoignages sur la Grande Guerre. Malgré la crainte de la censure militaire, il est désireux de faire connaître ses dessins. Alors qu’on vient de lui confier, en novembre 1916, une mission de peintre aux armées, son ami l’illustrateur Sem (1863-1934) les révèle dans le numéro de Noël 1916 de L’illustration, puis une grande exposition leur est consacrée au musée des Arts décoratifs, en février 1917. Il publie alors chez Devambez un portfolio de cent fac-similés. Cet album sera d’ailleurs réédité à l’occasion de l’exposition. Cette période semble avoir été décisive. Georges se montre de plus en plus concerné par la peinture et sensible aux jugements et encouragements d’artistes qu’il admire. Travaillant beaucoup, il envisage de nouveau d’exposer.

Georges Hugo (1868-1925). Guerre 1914-1918. Croquis exécuté pendant la guerre. Plume et lavis. Paris, Maison de Victor Hugo.

 

Des années Dora au café des gaufres

À la suite de son divorce, il se remarie avec Dora Dorian et part s’installer près de Florence. Georges aime peindre les rives de l’Arno. Leur fils, François, y naît en 1899. Brouillé avec sa sœur depuis son divorce d’avec Léon Daudet, il se réconcilie avec Jeanne et son nouveau mari, Jean-Baptiste Charcot, pour les fêtes du centenaire de Victor Hugo en 1902. Cet été-là, il part avec son nouveau beau-frère en Islande et jusqu’à l’île Jan Mayen, où il réalise certaines de ses plus belles peintures. Georges n’exposant plus et ne datant que très rarement ses travaux, il est désormais difficile de suivre l’évolution de son œuvre. Celle-ci, avec l’importante production qu’il semble avoir à partir de 1917, n’est révélée au public qu’après-guerre, lors de l’exposition qui lui est consacrée au musée des Arts décoratifs en 1920, puis à la galerie Brame en 1923. Le peintre se montre essentiellement sensible au paysage, tandis que le dessinateur, au crayon acéré, s’adonne aux scènes de sociabilité, aux spectacles, aux êtres qu’il observe d’un œil proustien, comme s’il était à la recherche d’un temps perdu ou en train de disparaître. Ayant dilapidé sa fortune, Georges vit entre le Café des gaufres aux Champs- Élysées et une petite chambre dans un cercle de jeu proche. C’est là qu’il meurt le 5 février 1925. Un mois plus tard, la Maison de Victor Hugo, musée depuis 1903, lui rend hommage naturellement par une exposition.

Georges Hugo, Le Beerenberg, île Jan Mayen, avec vol de goélands, Paysage d’Islande, 1902, Huile sur toile, Collection Jean-François Heim

 

Une production présente dans les collections muséales

La plupart des œuvres de Georges Hugo – peintures, dessins, gravures – sont aujourd’hui présentes dans les collections muséales et institutions françaises (musée de l’Armée, musée d’Orsay, musée des Arts Décoratifs, Centre national des arts plastiques, Bibliothèque La Contemporaine, musée du Grand Siècle…) ainsi que dans les collections familiales et privées. La Maison de Victor Hugo conserve près d’une centaine d’œuvres diverses : des peintures de paysages aux pastels de natures mortes, des dessins des tranchées de la Grande Guerre aux croquis sur le vif saisis dans des cafés, des lettres à son grand-père aux livres illustrés réalisés avec sa sœur Jeanne.

 

Georges Hugo
L’art d’être petit-fils
Maison de Victor Hugo, Paris
6 Place des Vosges
75004 Paris
www.parismusees.paris.fr

 

Crédits: Georges Hugo, Dora vue de Dos, v. 1910, Huile sur toile, (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski