Le Jardin perdu d’Alice Lewis

Le Jardin Perdu raconte les aventures du personnage, Alice, contrainte d’affronter un monde inconnu et étrange pour retrouver son « vrai » jardin… et renaître de ses illusions. Co-réalisé avec le directeur artistique David Herman, cet album d’ Alice Lewis se conceptualise sous la forme d’un conte musical où les instruments traditionnels rencontrent la néo-pop. Fortement inspiré de l’univers onirique de l’artiste, Le Jardin Perdu est un ovni, aux croisements de la musique et de l’image.


Peux-tu nous parler de tes débuts ?

Alice Lewis: Tout a commencé à l’École Nationales Supérieure d’Arts de Paris-Cergy. Je chantais dans les couloirs des ateliers « béton et carrelage », qui avaient une très belle réverbération naturelle, lorsqu’une de mes profs, Sylvie Blocher m’a dit « toi, tu vas devenir chanteuse », chose qui m’étonna beaucoup étant recouverte de plâtre et vêtue d’un gros baggy plein de peinture (je faisais de la sculpture et des installations). A l’époque j’avais un tout petit clavier Yamaha qu’on m’avait prêté. Elle m’a commandé deux chansons pour son atelier. Pour la première, j’ai mis en musique un texte de Lewis Carroll tiré d’Alice au Pays des Merveilles. Puis un autre un texte que j’avais écrit. Je suis rentrée dans une transe de composition où je me suis soudain dit mais c’est fou, tout fait sens lorsque l’on compose.

Alice Lewis, c’est en référence à  Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll?

Le nom Alice Lewis s’est imposé comme nom de scène, en relation avec la première chanson que j’ai écrite.

Qu’est-ce qui inspire tes  compositions?

Un paysage, une mélodie qui arrive d’elle-même, une situation avec des gens, des histoires. Mais aussi le hasard. Souvent je place mes mains sur le piano sans trop savoir ou je vais et la couleur de l’accord m’inspire pour aller à l’accord suivant, et la musique émerge. Il faut un certain lâcher-prise. Je la travaille ensuite comme on sculpte une forme.

Peux-tu nous parler de ton album Le Jardin Perdu?

Il reprend le principe narratif d’album-concept sous la forme d’un conte musical. Il a été co-réalisé avec David Herman, qui a écrit une histoire que j’ai mise en musique. Les scènes du conte et puis des images d’inspiration ont été traduites en paroles et en compositions musicales. C’était fantastique de travailler ainsi, cela donne un cadre de travail qui évite de se disperser dans d’autres directions, et puis on s’amuse beaucoup.

Comment as-tu rencontré David Herman? Pourquoi et comment avez-vous collaborer?

Nous nous sommes rencontrés quand David travaillait pour le magazine Standard. On avait collaboré via une série de mode à l’occasion de la sortie de mon album No One knows we’re here. On s’est revus au cours d’un événement du label Tricatel au sein duquel je jouais et il m’a dit : « tu es plus bizarre que la musique que tu mets en avant, viens faisons autre chose ». En s’inspirant de l’esprit onirique de mon travail et de mon approche visuelle (des musiques imaginées comme des « paysages sonores », des chansons pensées comme des « micro-fictions »), il a donc écrit ce conte, Le Jardin perdu. Les différentes ambiances du conte m’ont poussé à revisiter des univers musicaux auxquels je n’aurais pas songé spontanément alors qu’ils font partie de mon histoire personnelle. J’ai été amenée à réexplorer les musiques anciennes par exemple avec des instruments comme le Guzheng, fortement lié à l’histoire de l’opéra chinois et que j’avais découvert au cours d’un voyage d’étude en Asie. Cela m’a permis aussi d’aller vers des choses plus expérimentales, j’ai notamment effectué un travail de recherche très poussé au niveau des textures de synthés. Il m’a aussi aidé à renouer avec ma nature d’artiste visuelle à travers la création d’une animation vidéo dont j’ai moi-même créé les décors en papier découpé. J’ai tout réalisé dans mon studio chez moi, comme dans un laboratoire.

Une collaboration élargie à d’autres artistes : Judah Warsky, Anne Alvaro, Gaspar Claus…

Le projet a vite pris une tournure « familiale » et pluridisciplinaire, en invitant notre entourage artistique proche à enrichir l’univers de l’album de leur propre démarche. Les interludes du conte et certains morceaux ont été traduits en vers poétiques, à travers de magnifiques alexandrins écrits par mon ami cher Judah Warsky que je considère comme l’un des meilleurs paroliers de la scène actuelle. La comédienne Anne Alvaro n’est autre que ma voisine et nous sommes liées d’amitié. Elle a été invitée à poser sa voix unique sur ces interludes. J’ai aussi sollicité David Neerman pour des compositions au piano ou encore Martin Kerr pour des percussions. David avait déjà collaboré avec Gaspar Claus que je croise depuis des années, et c’était l’occasion idéale pour qu’il nous apporte sa patte expérimentale, entre drone et bruitisme avec son violoncelle. David m’a aussi permis de rencontrer Jean-Christophe Huc qui s’est approprié le morceau de L’Etang du Jardin Perdu avec ses paroles et sa voix lyrique. D’ailleurs, nous n’étions pas toujours dans une logique de commande, mais dans une approche plus collaborative. Il s’agissait pour ces contributeurs d’enrichir certains morceaux avec leur propre vocabulaire, et c’est sans doute ce qui explique la richesse de styles et le sentiment liberté créative qui se dégage de cet album, d’après les retours qui nous ont été formulés après écoute. Enfin, grâce à Lisa Andrea Bidault, ancienne élève de Jordi Savall, nous avons eu la chance d’imprégner des passages de cet album du son de sa viole de gambe, instrument auquel David et moi sommes attachés.

Qu’en est-il de l’influence William Morris?

William Morris est surtout une référence dont David s’est fortement inspiré dans l’écriture de l’histoire. J’y étais sensible pour le dessin. Mis à part le fait  d’être connu pour avoir fondé le mouvement Arts & Crafts en design, cet auteur appartenait au mouvement préraphaélite dans l’Angleterre du 19e siècle par ses contes illustrés qui ont largement influencé Tolkien. Ce n’était pas forcément prémédité, car l’écriture a débuté sans avoir pleinement conscience de cette référence, mais la trame narrative « en boucle » de notre conte, son esprit pittoresque et ses scènes fantastiques s’inscrivaient de près dans l’héritage d’œuvres comme Le Lac aux îles Enchantées ou La Source au bout du monde de William Morris.  

L’image semble indissociable de la musique…

Oui, je vois la musique par couleur, je vois des paysages, des formes. Mes chansons sont comme des petite pièces de théâtre musical avec un début un milieu et une fin, et puis un décor. 

Quels sont les projets à venir ?

Nous projetons de produire avec David des shows in-situ dans des environnements qui sortent du cadre habituel de la scène musicale. Notre vœu le plus cher serait de le déployer sous forme de performances immersives dans des sites de patrimoine (galeries, musées, châteaux ou demeures anciennes…), et ainsi révéler l’esprit de ces lieux d’exception. Nous travaillons actuellement à sa mise en scène théâtralisée à l’aide de décors en grandeur nature de papier découpé sur le modèle de ceux que j’ai produits pour notre teaser vidéo. Et nous  révèlerons très bientôt une collaboration avec un grand fleuriste parisien…

ALICE LEWIS Le Jardin Perdu - Yuk Fü Records